21 APRIL 1939, Page 23

NOUVEAUX PREPARATIFS

[D'un correspondant parisienj ON ne sait au juste si c'est la pabc-guerre ou la guerre-paix, mais on comprend trop bien que cela pourrait tourner A la guerre tout court. Ne sera-t-elle pas ineluctable le jour oü un dictateur aura ete trop loin pour pouvoir reculer? La demon- stration est evidente; on ne s'attarde plus a la discuter. II n'y a qu'a attendre—et a se preparer. C'est pour cela sans doute que le pays reste calme, ainsi qu'ont pu en temoigner les nom- breux touristes anglais venus pour les fetes de Paques. Neanmoins les nerfs sont tendus et les gens pretent volontiers Poreille aux racontars du "monsieur qui a un cousin tres renseigne par un beau-frere dans l'adminstration." C'est pueril, mais comprehensible, et au fond sans grande importance.

L'hornme s'accoutume A tout, meme aux alarmes. Chaque famille francaise a donc eu le temps d'arreter Its details de sa petite mobilisation individuelle. Cela seul servirait expliquer le calme. Puis on procede aujourd'hui avec moms de tapage aux preparatifs collectifs. Certes il n'etait pas mauvais naguere d'insister sur Its mesures que les autorites entendaient prendre. Maintenant que l'effet moral a et6 atteint, on vent travailler en silence. C.ela perrnet d'ailleurs aux populations d'arriver A une comprehension plus nette des dangers a craindre, ainsi que des moyens d'y parer.

Les civils redoutent surtout la guerre aerienne. Elle promet d'être affreuse et la presse populaire n'a pas manqué d'en souligner les terreurs. Tres impressionne, le public n'a vu d'abord que deux solutions : la construction de vastes abris et Pevacuation des villes. Adjourd'hui toutefois on com- mence a comprendre que pour resoudre tm probleme il ne suffit pas d'en changer les dormees. On se rend compte que des abris de cc genre seraient necessairement eloignes des habitations, que leurs dimensions compliqueraient la protection contre les gaz, et que le prix de revient—au moms 15,000 francs par place—les rend prohibitifs. Les evacuations massives, d'autre part, serviraient surtout A &placer Its objectifs, tout en augmentant leur vulnerabilite. Le bon sens indique qu'il vaut rnieux se contenter de solutions moyennes.

Le facteur moral s'est modifie egalement. En France nous disons "defense passive" oil en Angleterre vous dites " A.R.P." Du point de vue psychologique notre designation est mauvaise, car elle semble presupposer un complexe d'inferiorite. Pour les esprits simplistes elle evoque rid& de parade, A l'exclusion de riposte. Des ecrivains qualifies ont entrepris dupuis quelque temps une mise-au-point necessaire. us font ressortir que precisement parce que la guerre de l'air est inconnue, sa menace invite A exploiter It doute et la petit. Ils s'efforcent d'inculquer une conception plus rationnelle. us repudient la doctrine de feu Gait:, Douhet, cc general italien qui soutenait que l'emploi massif de l'aviation amenerait une decision rapide de la guerre a venir. Cette doctrine a fait beaucoup d'adeptes, surtout dans les pays totalitaires, mais tile ne repose sur aucun fait d'experience et les conditions ont evolue depuis qu'elle fut enoncee.

Du reste Douhet, corrune beaucoup de doctrinaires, negligeait la reaction de l'adversaire. Si la guerre d'Espagnc comporte des enseignements (il convient d'être circonspect en raison des conditions speciales de cette lutte), c'est que Paviation n'a pas amene la decision et que les bombardements aeriens n'ont pas brise le moral de l'arriere. Toutes pro- portions gardees, c'est la repetition de la faillite de la "Grosse Bertha," qui devait semer la panique parrni les Parisiens au cours de la Grande Guerre. D'autre part il ne faut pas perdre de vue que le defenseur aussi aura son armee de l'air. Au debut il pourra etre surpris par une agression sournoise, mais ensuite il attaquera A son tour. Si Marseille est port& de Genes, Turin est A port& de Lyon.

Wine chez les masses la notion de la defensive offensive remplace aujourd'hui celle de la defense passive. Par surcroit, cette evolution s'accompagne d'un redressement materiel. Au printemps de 1939 la situation n'est plus 1a mane qu'a Pautomne de 1938. Les Francais restent sincerement pacifiques, mais is sont plus que jamais resolus a defendre leur patrimoine et leurs libertes. Et pour conserver la pair ils avertissent Paggresseur eventuel qu'a l'ouest, en tout cas, it ne saurait etre question d'une simple promenade militaire,