L'Ambassadeur de France
[D'UN CORRESPONDANT FRANcAIS.] (TEST au debut du mois prochain que M. de Fleuriau, ambassadeur de France a Londres, quitters sa residence d'Albert Gate. On peut tenir pour certain que ce n'est pas sans une profonde emotion gull dim adieu cette maison oh se sont eeoulees pres de trente annees de sa cerriere diplomatique. Et je sais aussi qu'il eprouvera beaucoup de melancolie a s'eloigner des tres nombreux et sinceres antis qu'il possede dans ce pays.
Point n'est besoin, je crois, de tracer ici son portrait. M. de Fleuriau a assiste a tent d'evenements britanniques que quiconque lit un journal ifignore point ses traits, sa silhouette d'apparence frele, sa barbe aujourd'hui grison- nante et aussi, car c'est un des inseparables attributs de sa personne, sa there Lavalliere.
II naquit a La Rochelle, il y a quelque 62 ans. Ses ancetres etaient marins et on rapporte meme que son grand-pere commandait a bord du bateau qui ramena de Ste Helene en France les cendres de Napoleon. Adoles- cent, il tut lui-meme -une predilection marquee pour la navigation & voiles et songea un instant a devouer sa vie a la mer.• Une solide formation scientifique, completee d'etudes de droit, he determine pourtant,- vers Page-de vingt-cinq ans,_ a entrer dans la diplomatic. Un stage rapide au Quid d'Orsay oa il laissa le souvenir d'un attache studieux, deja grand fumeur de pipes, et il rut envoye a l'Ambassade de Constantinople.
C'etait au lendemain des massacres d'Armenie et l'Ambassade etait dirigee par Paul Cambon. Poste de choix pour un jeune diplomate avide d'apprendre son métier a l'ecole d'un grand chef. . Apr& le depart de. Paul Cambon nomme a Londres, it rests quelques temps encore a Constantinople sous les ordres de Paul Constant. Puis—c'etait en 1899—il arrive Is son tour ici on it devait vivre de longues annees chargees d'histoire.
On etait alors au lendemain de ['incident de Fachoda. Des relations entre les deux pays, le moires qu'on puisse dire, c'est qu'elles manquaient de cordialite. Aux cotes de Paul Cambon, comme secretaire d'abord, puis conune conseiller, it coopers a leur amelioration graduelle, et prit part a la negotiation des accords que l'on a resumes d'un mot, l'Entente, et .qui n'eurent pas d'ailleurs ii ['origin le sens que le public, couramment, leur attribue.
Dans La pens& des initiateurs de ce mouvement, Edouard VII, Lord Lansdowne, Delcasse, Paul Cambon, it s'agissait d'assainir les relations franco-anglaises en faisant disparaitre les causes des malentendus entre les deux pays, puis a proceder de meme avec d'autres puissances telles que la Russie et l'Allemagne—qu'on se rappelle la mission de Lord Haldane a Berlin—et ce no fut pas la faute des fondateurs de l'Entente si la colla- boration franco-britannique prit Ia forme concrete et etroite que I'on sait.
La guerre venue, M. de Fleuriau que son chef await etroitement associo a sa tache, assura une veritable permanence de jour et de nuit a Albert Gate, aidant coordonner les efforts des deux pays, s'occupant tour a tour de politique, de shipping, de ravitaillement, de finances, &c.
En 1920, Paul Cambon prit sa retraite, cependant quo M. de Flcuriau etait rappele a Paris d'oa, d'ailleurs, tres rapidement, it repartait pour aller occuper le poste de Ministre de France a. Pekin. D'assez graves evenements se deroulaient alors en Extreme Orient. 11 y passa quatre ans, remplit sa mission avec succes, et la confiance du gouvernement francais I'investit, a la fin de 1924, de reminente fOnetion d'Ambassadeur de France a Londres.
Les relations franco-anglaises traversaient une crise d'un autre ordre, tine crise dont le souvenir est present a l'esprit de chacun, une crise due a la complexite des problemes d'apres-guerre et a la difference des psychol- ogies des deux peuples et de leurs .besoins.• • En presence de cette situation, M. de Fleuriau adopta In seule attitude qi.te lui comniandait -le role de plus en plus discret auquel, depuis dix ou douze ans, les entrevues personnelles des chefs de gouvernement et des ininistres des Affaires Etrangeres out reduit les ambassadeurs. 11 reprit contact avec les dirigeants et les hommes politiques anglais, renoua de vieilles amities, s'appliqua a dissiper des inalentendus, s'attaqua aux difficultes en les seriant et, sans meconnaitre les rapports etroits qui existent, de nos jours, entre les problemes politiques et les prob- lemes eeonomiques cut, a notre axis, la sagesse de s'interdire la poursuite de grandes solutions d'ensemble. Methods modeste, mais sire et qui, m 'erne quand elle ne donne pas de resultats tangibles, a du moins le merite de iirevenir les grandes desillusions si souvent generatrices de c'onflits.
De Ia discretion, it s'est fait en toutes eirconstanees une regle imperieuse, profondement convaincu, d'ailleurs, de Ia vanite des manifestations tapageuses et du danger de ces exposés systematiques qui visent a ne presenter d'un pays qu'un visage incomplet et, le plus souvent, un faux visage. Son action diplomatique, it l'a toujours concue et pratiquee scion la stricte loyaute que se doivent deux grands peuples qui s'estiment et se respectent, mettle quand its s'opposent. C'est dans cet esprit de grande dignite qu'il a devoue tous ses efforts a. ('organisation de la cooperation anglo-francaise et je sais que le regret legititne qu'il eprouve a quitter sa tache s'est attenue a la pensee qu'elle allait, du moins, passer en bonnes mains.