LETTERS TO THE EDITOR.
AGGRESSIVE IRRELIGION IN FRANCE.
[To THE EDITOR OF TRY " SPECTATOR." j
MONSIEUR LE DIRECTEUR, —J'ai rep nn mimeo) de votre Spectator, 2t Avril dernier, oil, sous le titre "Aggressive Irreligion in France," je lis une lettre de M. Morrison ou it eat question de la nouvelle Section des Sciences Religienses organisee depuis quelques semaines a la Sorbonne, et dont j'ai l'honneur d'être le president. Cette lettre eat d'une parfaite exactitude, et je remercie son anteur d'avoir contribue h dissiper les idees fausses que l'on se plait (run certain cote h rdpandre en Angleterre our la situation religiense de la France. Vondriez- vous me permettre quelques explications supplementaires Il est absolument faux que Is politique republicaine vise
r extermination du catholicisme romain en France. Lea exterminations out pu etre sanctionnees jadis par des conciles et des papes ; elles ne scut plus de notre temps.
Ce qui est vrai, c'est d'abord que dans les classes cultivees en France le nombre de ceux qui rejettent lea croyances catholiques
romaines est tree considerable, forme tres probablement la majorite, sans que pourtant ils se sentent generalement disposes pour cola a faire acte d'adhesion a nne forme determinee de protestantisme. Dans les grandee vines, et surtent dans lee centres indnstriels, an tree grand nombre d'onvriers out anssi romps avec les croyances catholiques romaines, surtout par esprit d'opposition contre le prelre et see pretentious sacerdotales.
C'est le surtout, dans cette derniere categorie, qu'on voit se verifier l'observation dejit faits en d'autres pays qu'un catho- lique romain, devenn hostile aux croyances traditionnelles, est beaucoup plus vite entraine qu'un protestant a identifier la religion particuliere de son enfance on de sa famille avec le Christianisme et la religion en soi, et a devenir on a se croire anti- chrgtien et irraigieual par cola seal qn'il n'est plus catholique.
Je ne discute pas, je ne juge pas ; je constate. C'est Ia consequence de l'absolutisme avec lequel le catholicisme romain s'impose aux consciences comme Rant la senle religion legitime, la seule serieuse, la senle digne de son nom. See disciples sont done habitues h le confondre avec Ia religion en soi, et c'est nne chose frappante que Ia difficulte qu'eprouvent meme des esprits Makes, ayant recn l'instruction catholique romaine, a envisager les questions religieuses antrement que de point de vue catholique romain. L'un des exemples de cette espece de fascination none est foarni par le celebre Auguste Comte.
Depuis 1789, excepte pendant la periode de la restanration legitimiste (1815-1830), it n'y a plus en de "religion d'etat" en France. L'Etat franeais se declarait nentre (non pas athee, non pas irreligieux), nentre en presence et an dessns des diverses formes de la religion existent en France. Il reconnaissait en meme temps son devoir de proteger la liberte des cultes et des consciences, et mettle it subsidiait en vertu de concordats ce qu'on pent appeler lee religions historiques professees par lee populations (le catholicisme romain, le protestantisme, et la judais me).
Mais en fait, et pour des raisons politiques, les divers gonverne- meats depuis Napoleon I. crurent de leer interet de se departir de ce principe d'egalite en faveur de la religion de la grande majorite, qui etait le catholicisme. Ces faveurs illogiques, assez reatraintes sous le premier empire, redevennes legales an benefice de la religion d'Etat de la Restanration, de nouveau reduites sons Louis Philippe bien qu'en voie d'accroissement dans lee dernieres annees de ce prince, fnrent multipliees jusqu'an scandale sous Napoleon III., qui tenait beaucoup a se concilier l'appui des influences cleric,ales.
Il p avait des lois restrictives de la liberte de la presse, de l'association, de la discussion pablique, dont tons, excepte les partisans du catholicisme, avaient a sonffrir. A chaque instant les Protestants et les autres non-catholiques etaient 16see dans leurs droits. L'enseignement public etait doming par le clerge. Lea communantes monastiques etaient favorisees de tontes manieres. Les charges fiscales et militaires, qui en France doivent peser sur tout le monde, leur etaient epargnees. J'aurais toute nne liste a rediger des privileges de fait qui etaient assures par le gonvernement imperial anx institutions catholiques romaines, souvent meme en contradiction formelle avec les lois existantes. Cenx qui savent comment se faisaient lee elections sons ce gonvernement comprendront anssi ponrquoi l'on ne ponvait compter sur lee Chambres pour remedier h cet &at de choses.
Par consequent, la Republique, sortee du vote libre de la population, avait, entre autres missions, cells de ramener Ia situation religiense a l'etat prescrit par lee lois constitatives qui se resument dans le double principe de liberte et d'egalite.
Par consequent aussi, dle devait supprimer les privileges dont le gonvernemcnt anterienr avait favorise exclusivement la religion catholique romaine. Elle devait la ramener it ce que nous appelons le droit commun. En procedant de la sorts, it ne pouvait faire antrement qne de froisser des habitudes, des
interets, et ces prejages qui portent le catholique romain croyant a'imaginer gull est persecute quand ii ne commando pas, et qu'il doit se contenter du regime auquel tont les autres sont sonmis.
L'Empire disait : Je favorise le catholicisme romain, parce que je crois devoir favoriser la, religion au point de vue social, et in religion, c'est le catholicisme romain. Lee ennemis de la Republique out dit : Vous faites rentrer le catholicisme romain .dans le droit commun, le catholicisme romain eat la religion, done vous attaquez la religion, volts etes agresaive. Je ne die pas quo tonjoun et partont cette reduction an droit common se soit accomplie avec les managements et le tact qu'il anrait fallu. Des ennemis ardente du catholicisme, des fonctionnaires trop zeles du maladroits, ont pn ch et lit dormer nne extension on nne kprete regrettable aux instructions qu'ils avaient recnes. Ces choses-li sont toojours possibles ; mais je maintiens quo l'intention du gonvernement republimin n'a pas depasse et ne depassera pas le principe de liberte conform&
meat anx lois, pent-etre plus necessairea en France qu'en Angleterre, qui regissent l'usage de la liberte de reunion et d'association, et anxquelles tons doivent obeissance.
C'est pour none un grand sujet d'etonnement l'etranger on alt pu s'y meprendre et qu'on alt prix an serieux le sophisme des catholiques romaine passionnes qui orient qu'on " chasm Dieu," qu'on " renie Dien," qu'on vent " exterminer la religion,"—parce qn'on sonmet catholique romaine a la loi commune.
Je snis en mesnre de eons affirmer qne parmi les gonvernants actuels, it n'en est pas un Beni qu'on pnisse accuser d'irreligion systematique. Je pnis memo affirmer a vos lectenrs que nommement M. Goblet, Ministre de l'Instruction Publique, et M. de Freycinet, President du Conseil, sont des hommes sincerement religienx.
Il eat tree vrai qu'en grande majorite le clerge catholique romain est hostile a la Republique, et ne s'en cache guere.
S'il avait encore Is pouvoir moral gull avait autrefois, la Republique n'aurait pas vecu six mois. Il est vrai aussi quo, par reaction contre lee abns anterieurs, it rogne dans nne roadie trop nombrense de la population ouvriere nne antipathie pro- fonde contre toute ides religiense. Mais cola n'a Hen a faire avec la politique snivie par le gonvernement.
J'arrive enfin a ce qui concerne la nouvelle Section des Sciences Religienses a la Sorbonne.
Depuis des annees on se plaignait dans le monde savant de l'etat d'inferiorite auquel nous condamnait via-h-vie de I'Alle- magne, de la Suisse, de la Hollande, et aussi de l'Angleterre. Ce fait que lee recherches de divers genres ayant la religion pour objet etaient confinees presque exclusivement dans les Facultes de Theologie catholiques, oil ne regnaient ni la pleine liberte d'examen ni les etudes comparatives des etudes faites l'etranger. C'est a cette plainte que repondit d'abord in creation an College de France, en 1880, d'une chairs pnblique d'Hiatoire des Religions, qui, l'on vonlut bien me confier.
Mais nn seal homme, devant faire nn cours public, ne pouvait suffire a nne pareille tiiche. Les Chambres avaient supprime les Facultes de Theologie catholiques, non seulement par raisons d'economie, mais surtout parce qu'elles ne servaient plus a Hen. Riles n'avaient pas d'auditeurs. La Cour de Rome n'avait jamais vouln les reconnaitre. Les &kites n'y envoyaient aucun de leurs jeunes prAtres ; it preferaient les instruire dans leurs seminaires, loin du bruit des systemes et des discussions des mal-pensants. Les grades universitaires que ces Factiltes ponvaient acoorder n'etaient recherches par personne. En un mot, l'institution etait tomb& d'elle-meme, parce qu'elle etait trop catholique pour etre scientique, et trop pen catholique aux yeux du haut clerge. Ansel vous voyez que cette suppression n's, pas fait grand bruit. On s'est remu 6 lorsque le gonverne- ment de la Republique a vonlu appliquer les lois existantes ales communantes monastiques, qui s'etaient constitnees avec le pretention de les braver on de lee tourner.
Alors lea amis des hautes etudes ont vouln profiter de l'occasion pour organiser an cycle de tours se rapportant l'histoire et a In critique scientinque des religions. Naturellement, l'Etat nentre ne pouvait fonder des cours dogmatiques. Mais l'histoire et la critique seriense sont choses laiques. Il s'est adresse a des specialistes autorises pour lea diverses branches
de connaissances speciales s'agissait de cultiver. Des noms this quo ceux de M. Bergaigne, l'orientaliste San- scritisant du premier ordre, de M. de Rosny, Japonisant et Sinologue de grande reputation, de M. Lefebvre pour l'Egypto- logie, de M. Derembourg pour l'Islamisme et lea religions d'Arabie, se paesent de touts recommendation. Ce dernier est loresllts ; mais ponrquoi pas ? Les branches qui tonchent de plus pros an Christianisme sont confiees a MM. Maurice Vernes, Massebian, Sabatier, ces deux demiers professenra a la Faculty de Theologie protestante,* a mon file, k moi-meme. M.
* Celleci a ete conserve'e, d'abord parce qn'elle eat atilise par tons ceux qui se destinent an Ininistere Svangelique ; at pais, parce quo is lot wage de toot pastenr soit bacbelier en theologW. L'Etat dolt done nne Famine anx future pastenrs.
Esarein, catholiqne liberal, est charge du droit canoniqne, dont l'etude est toujours necessaire.
Je pens vous affirmer qu'aucun de mes collegnes n'est possele par Ia fie vre anti-religiense ou anti-chretienne. Nous faisons de la science severe et austere, &lama dans notre partie, et sans ancune idee de propagande. Le seal nom qui ponvait inspirer des inquietudes aux chretiens de "petite foi " serait celui du respectable M. Havet, qni continue parmi nous, quoique avec plus de serieux, de savoir, et de moderation, la tradition philosophique dn dix-huitieme siecle. Mais d'abord it etait juste qui cette tendance fist anssi representee; en second lien, c'est un homme d'un grand age, du plus noble caractere ; en fin, son coats n'est que temporaire, at sera remplace dans un certain temps par un coars cur la religion greco-romaine qni =ague notre programme.
Enfin je dois vous faire observer ceci. Nous faisons partie la Sorbonne de ce qui s'appelle l'Ecoles des Hautes Etudes. Tandis pea la Faculte des Lettres, a celle ees Sciences, au College de France, it y a an grand nombre de tours publics on quasi-publics, ou tout le monde et admis, et qui, par e.ela meme, exigent jusqu'it an certain point la forme oratoire, exclusive des demonstrations on applications trop techniques, les tours des Hantes Etudes sont fermes,—on n'y est admis qu'apres inscription. Les professeurs travaillent avec leans eleves ou les font travailler sur des textes, des documents originaux, grece, latins, hebreux, arabes, sanscrits, chinois, &a , les lexiques, chives on commentaires is la main. Il ne saurait done etre ques tion dans une telle institution de propaganda bruyante en favour de tel on tel principe religieux ou contre la religion. La:smile passion qui anime lee professeurs est la recherche du vrai, sans se preoccuper des consequences at des applications. Quiconque est convainca de posseder la verite doit s'en rejouir, at non s'en affliger.
Telles sont, Monsieur le Directeur, lee considerations que je desirait vous sonmettre. Faites en l'usage qui vous semblera bon, et croyez it mes sentiments lea plus distingues.
ALBERT Ri:viLLE, Professenr an College de France, President de la Section des Sciences Religienses e Ia Sorbonne.
-21 Rue Gn61;gaucl, Paris, 7 Mai.